Notre premier échange a eu lieu sur les marches du Quartier Général à l’occasion de l’exposition Road to Mukono.
Chacun concentré à son ouvrage, la discussion s’est engagée doucement puis s’est intensifiée au moment où il m’a dit être tatoueur.
Si vous connaissez mon projet One day//one tattoo , vous comprendrez aisément ma montée de curiosité.
Rendez-vous fut pris le lundi suivant.
C’est assis sagement à la terrasse de chez Francis Labutte que je retrouve Fosca More, casquette vissée sur la tête et feutre dans la main gauche.
FANNY HALL. Comment te définis-tu ?
FOSCA MORE. Chercheur
F.H. Tu cherches quoi ?
F.M. Je cherche dans ma production ce qui va me provoquer un frisson. C’est-à-dire que quand je vois des créations (pas forcément dans la production artistique mais des créations en général) je vais avoir des petits frissons, des petits waouh, c’est bien ! Tiens, serait-ce un soupçon d’accent marseillais qui ferait écho à mon accent toulousain ?
Et parfois ça m’arrive quand je le fais avec moi de me provoquer un auto-frisson quoi, et je me dis qu’est-ce-qui… Comment moi je peux le faire, comment moi je peux le faire partager à d’autres personnes ?
F.H. D’où le choix du corps humain comme support ?
F.M. Non, pas du tout.
F.H. Mais alors, comment en es-tu venu au tatouage ?
F.M. En fait, je dessine depuis toujours, et un jour j’ai amené un pote se faire tatouer et là j’ai vu tout cet univers et je me suis dit: putain!
F.H. Quel âge avais-tu ?
F.M. J’avais 17 ans, j’étais jeune. Fosca More a 25 ans.
F.H. Ton premier tatouage?
F.M. A 17 ans, dès que je suis sorti du salon, j’ai acheté une machine et j’ai commencé sur mes copains et moi, c’était parti.
F.H. Donc ce premier tatouage, c’est toi qui l’as réalisé ?
F.M. Oui.
F.H. Et depuis, il y en a eu combien?
F.M. Je ne les ai pas comptés, beaucoup.
F.H. Tu n’as pas peur de ne plus avoir de place un jour?
F.M. Si, je ralentis la cadence, c’est frustrant quand je découvre un tatoueur dont le travail me plaît.
F.H. Tu as reçu une formation ensuite ?
F.M. Non pas du tout. On s’est formé avec des potes qui commençaient aussi. Avec des débutants on s’est montrés un peu ce que nous avions découverts chacun de notre côté Je ne suis jamais allé voir un pro dans une boutique, pas d’ apprentissage.
F.H. Ce ne sont que tes dessins originaux ou les gens te demandent des choses spécifiques ?
F.M. Si c’est hors sujet, je leur file le numéro d’un pote qui commence et qui veut se faire la main sur un truc. Les gens viennent me voir dans la démarche d’un projet qu’ils veulent me faire réaliser ou pour un de mes flashs. En général ils connaissent mon boulot via mon tumblr et mon facebook ou de bouche à oreille.
F.H. C’est quoi un flash ?
F.M. En gros tu réalises plein de dessins, tu les mets sur des planches et ils sont prêts à être tatoués. Donc en général tu gardes même la taille. Tu fais la taille bien précise pour la bonne grosseur d’aiguille. Après il y a des gens qui demandent « peux-tu me le réduire, agrandir, ajouter quelque chose ». Mais de manière générale tu ne changes rien. Les flashs sont uniques, une fois que c’est fait, il n’y en a pas d’autres.
F.H. Techniquement, ça se passe comment ?
F.M. Le flash, il y a deux manières de le faire. La première c’est avec du papier carbone. Tu le dessines comme ça sur le papier. La deuxième, tu as une machine: Dieu a inventé cette machine tellement pratique, le thermocopieur, tu as ton dessin, tu le balances dans le fax, la feuille passe et il te sort ton papier carbone tout prêt avec la précision d’une machine. Ça, pour les gros dessins c’est un gain de temps de fou !
F.H. Tu as déjà refusé de tatouer quelqu’un ?
F.M. Oh oui.
F.H. Qu’est-ce qui t’amène à refuser ?
F.M. Ou je me rends compte que la personne veut un truc complètement euh…, qui n’est pas mon style, je ne pourrais pas rendre la qualité optimale, donc je la dirige vers des collègues, ou alors des trucs que je trouve juste absurdes et ça sert à rien de le faire.
F.H. Est-il possible que ce soit lié à un manque de feeling?
F.M. C’est plus si je ne comprends pas la démarche. Alors je creuse, on parle pour trouver un terrain d’entente. Il y a des gens qui veulent un truc et je ne peux pas faire la chose telle quelle, du coup on trouve un compromis: « Moi je veux faire ça, toi, ça te va ? Moi j’aimerais que ce soit un peu différent, tu vois, je te fais ça, est-ce que toi ça te convient car moi, c’est mon style, c’est ma patte, oui voilà, j’aime bien et tout ». Il arrive que ce soit un peu long, pas évident. Mais ne pas avoir le feeling avec quelqu’un, c’est rare.
La veille, j’ai assisté à une session tatouage réalisée par Fosca More: je lui demande s’il avait déjà tatoué ce jeune homme auparavant. Il me dit oui, je lui explique avoir eu envie de lui prendre la main car il avait vraiment l’air d’avoir mal (mon côté petite-mère), ça le fait rire, il me dit que oui, il devait avoir un peu mal, mais que c’est comme ça, que c’était sur la côte qui est un endroit sensible.
F.H. Est-ce que les femmes réagissent mieux au tatouage ?
F.M. Ah ouiii, c’est un plaisir, parfois je fais des bras entiers, les filles s’endorment, je dis « ouh/ouh c’est fini », elles regardent « oh c’est génial » Et les garçons, ils sont là, ils se tordent de douleur, « attends, on va fumer une clope, attends, oh, ouf, je veux aller faire pipi, oh les gars, deux secondes s’il vous plait! »
F.H. Le tatouage, effet de mode ?
F.M. C’est une mode.
F.H. Et toi tu te situes où rapport à ça ?
F.M. C’est à double tranchant dès qu’il y a du monde. Il y a dix ans, on nous disait que le graphisme était un truc complètement bouché, ce qui est vrai, et plus il y a de monde et plus la concurrence se fait rude. La concurrence, si tu la vois d’un mauvais œil, ça engorge, c’est compliqué. Moi, au contraire je pense que plus il y a foule dans un domaine, plus les gens doivent se diversifier et affirmer leur style profond. Sur le même principe, à l’âge d’or de la photographie tout le monde se mettait à photographier, mais il y a des mecs qui ont su donner leur vision du monde. Si tu as ton identité propre, il n’y a pas de concurrence. Enfin, je pense que ça peut être gênant sur certaines règles, pas techniques mais plutôt administratives (tu vois c’est bouché donc on a moins de visibilité.)
F.H. As-tu une équipe, un peu comme un crew dans le street-art ?
F.M. Oui, on se fait pas mal de sessions collectives.
F.H. Votre nom ?
F.M. C’est un collectif qui s’appelle Violent Codex.
F.H. Et le principe ?
F.M. Là, je reviens d’Arménie. Là-bas, des mecs qui ne parlaient pas un mot d’anglais nous ont invités chez eux. Je pense à un type, Igor, il avait des tatouages de la mafia Russe, de l’ex bloc, des grandes mafias soviétiques. Il existe plein de petites encyclopédies du tatouage russe: chacun a sa signification. Quand le mec porte un truc, c’est comme une première étoile ou un badge: Si tu portes ça, ça veut dire ça. C’est fou comme nous, on a complètement dissocié le tattoo de sa valeur significative commune: en Arménie, quand tu portes un tattoo, c’est: j’ai fait une action, je suis ça… et nous, surtout en France, c’est du tattoo sur mesure.
Ainsi le but du Codex, c’est de réunir tous mes potes et des gens dont j’aime le travail. On donne un thème: par exemple le premier c’était « une femme m’a menti, elle s’est joué de moi » et on va la représenter avec un scolopendre, une espèce de gros mille pattes (pas beau) qui sort de sa bouche. Si quelqu’un le porte cela symbolisera qu’une femme lui a menti. Je le fais dessiner par tous les mecs, et ça fait une planche. Au départ nous étions neuf, maintenant nous sommes une quinzaine, et ça ne cesse d’augmenter. Ce qui permet de donner un sens au vu de tous, au-delà de ce que le mec lui a donné comme sens. Un sens de base.
F.H. Il y a des nanas au sein de Violent codex ?
F.M. Il y a quatre filles pour onze garçons. Elles ne sont que quatre mais elles dépotent.
F.H. Peux-tu m’en dire plus sur ce support exceptionnel et vivant ?
F.M. Je n’ai pas de projet pour le moment à grande échelle mais mon coloc a écrit ce poème où il parle d’ un tableau en mouvement, plein de toiles qui au final n’en forment qu’une seule, qui est la toile de l’humanité, qui se meut et qui se disperse. C’est vrai que c’est un truc intéressant mais ça j’aimerais bien le construire plus tard: par exemple une grosse série de tattoos, qui vont plus ou moins ensembles, qui marchent indépendamment, une individualité propre dans chaque tattoo, mais si jamais au grand jamais, au final, on les rassemblait, ça ne ferait pas une fresque mais ça ferait…
F.H. Question pratique, ta machine a une pédale, est-ce le même principe que celui de la machine à coudre ? Envoies-tu l’encre avec la pédale ? A l’instant même où je pose cette question, je prends toute la mesure de ma balourdise… trop tard !
F.M. Non, en fait, en gros tu as ton alimentation, qui sert juste à stocker l’électricité et à la renvoyer. Il y a un câble relié à la machine et à la pédale, cette dernière sert juste de on//off pour envoyer l’électricité dans la machine, mais elle ne crée pas d’intensité : tu appuies ça marche, tu arrêtes ça ne marche plus. Puis tu as un petit godet d’encre, tu viens mettre ta buse avec ton aiguille, tu le trempes dans ton godet, tu actionnes ta machine, l’aiguille bouge, l’encre rentre dans la buse et après tu viens tatouer et l’encre se dépose.
F.H. Tu t’es déjà raté ?
F.M. Ouais, mouais.
F.H. Et tu gères comment ?
F.M. En fait c’était sur mes premiers, et les gens qui venaient me voir étaient en recherche de tattoo schlag, ils savaient que j’étais débutant…
F.H. On te demande parfois de faire ce que tu veux ?
F.M. Oui, parfois des gens qui savent pas trop ce qu’ils veulent, des potes qui ont de la place et qui me demandent ce que je vois, et sinon il y a un truc encore plus intéressant, c’est de faire de l’impro: tu rases la peau, tu fais un petit carré et tu pars en mode « je ne sais même pas ce que je vais dessiner » et ça se dessine sous tes yeux et après pour le coup c’est moins un dessin propre, ça fait plus dessin enfantin, mais c’est un plaisir, tatouer en impro c’est vraiment un plaisir.
F.H. Tu travailles sur d’autres supports ?
F.M. Papier, stickers. En ce qui concerne les stickers, je fais plein de petits yeux. Je colle dans le métro, sur toutes les affiches, sur les yeux. En fait j’ai commencé à faire ça, parce qu’il y avait une affiche de film d’horreur, un truc sur un exorcisme et l’image était brutale, il y avait une petite fille, le parquet lacéré de marques d’ongles, avec du sang, j’ai vu ça et je me suis dit: « wouah, c’est ultra violent! » Il y a des gosses qui vont dans le métro, les parents s’en foutent: ils passent devant sans voir, mais leurs enfants regardent. A mon niveau, avec mes petites mains, j’essaie de détourner tout ça, d’apaiser un peu l’espèce de tension, de violence visuelle.
Je fais ça depuis un an ou deux, j’en ai tout le temps sur moi.
C’est très éphémère car souvent on me les arrache mais je ne désespère pas, je continue. En ce moment il y en a une, c’est Paranormal activity 5. On voit une espèce d’ombre noire sur un lit, enfin visuellement c’est pas choquant, c’est pas gore, mais je persiste à dire que les images ont une signification, qu’elles ont un sens. Surtout dans le graphisme, les mecs savent très bien ce qu’ils font, et c’est un truc assez démoniaque, du coup, je colle deux petits yeux sur cette ombre noire et ça fait rigolo. Ca détourne le truc, ça désamorce la bombe.
F.H. As-tu déjà assisté à des réactions notamment celles d’enfants?
F.M. Non, pas des enfants mais une fois quand je collais, il y a des mecs qui sont venus me voir et ils m’ont dit « c’est toi qui colle les yeux, on vient de les voir, c’est vraiment chouette ». J’hésite à les faire sérigraphier, pour en avoir plein et faire un gros truc. Fonce Fosca, j’imagine déjà que beaucoup de parents valident l’action!
F.H. Tu voulais faire quoi quand tu étais enfant?
F.M. Travailler dans un domaine en rapport avec la nature et dessiner.
F.H. Ton actualité?
F.M. Tattoo Session Vol.6 avec Elobo en salon privé du 17 au 21 novembre. Pour plus d’informations, les contacter en MP via leurs pages Facebook respectives.
En guest chez NAG du 1er au 5 décembre.
F.H. Le mot de la fin?
F.M. Il faut être.
En allant interviewer Fosca More, j’avais la certitude d’en apprendre plus sur l’univers du tatouage. Ce que je ne savais pas en revanche, c’était le méchant moment que j’allais partager. La discussion s’est naturellement prolongée et transformée en randonnée urbaine aux détours des rues montmartroises, pour se terminer à la librairie de la Halle Saint-Pierre, conseils d’acquisitions à la clé.
Le tatouage ne fait pas le moine et encore moins le croque mort, mais ça c’est une autre histoire… Que vous pouvez retrouver là.
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